Opéra de Rennes
Du 27 septembre au 1er octobre 2021, la soprano Jeanne Crousaud, la metteur en scène Emily Wilson, la costumière Oria Puppo, et la percussionniste de l’ensemble Sillages Hélène Colombotti étaient en résidence à l’Opéra de Rennes pour travailler à une version scénique du cycle des 30 Proesie composées par le compositeur italien Francesco Filidei.
Dédié à la soprano Jeanne Crousaud, le cycle des Proesie voit le jour sous les circonstances particulières des mois de confinement 2020 :
« Les Proesie sont nées d’une invitation de France Musique dans l’émission La ronde des musiciens et Jamais seul.
Durant le confinement, vers la mi-avril 2020, Francesco Filidei s’est vu proposé une carte blanche et m’a demandé si j’acceptais de chanter deux ou trois petites mélodies pour cette émission. La première était déjà composée, il s’agissait de « Anymali I », mais il en fallait une deuxième, à choisir parmi le Proesie de Federico Maria Sardelli, série de petits écrits absurdes et parfois sardoniques ou contemplatifs. Après avoir lu plusieurs textes, nous avons choisi « Dove il Proeta ».
Suite à cela, nous avons décidé de poursuivre le plaisir et Francesco composait une mélodie par jour, que je déchiffrais le matin et enregistrais l’après-midi, en ayant pris soin de faire une scénographie pour chacune d’entre elles. »
27 vidéos sont ainsi enregistrées, avec le soin de conserver un esprit joueur et décalé. La soprano Jeanne Crousaud porte en effet un regard critique sur la présence numérique des artistes qui s’est développée de manière exponentielle pendant ces quelques mois :
« France Musique voulait des vidéos et non des enregistrements. Je n’ai jamais aimé ce principe. Pendant ce confinement, tout le monde s’est mis à faire des « selfie vidéo », se filmant en train de chanter un air, une mélodie, ou réciter un texte, pour exister, dans ce moment tendu pour nous, artistes mercenaires, où nous risquions de nous faire oublier des directeurs ou organisateurs de concerts.
Mais pour moi, l’Art numérique, c’est de l’Art mort.
L’écran est la limite entre le vivant et le mort, et je suis profondément une artiste de l’Art vivant, éphémère, du domaine du souvenir.
Je voulais donc autre chose, bien qu’il n’y ait guère de choix.
Je voulais un format non axé sur moi, mais sur un réel personnage imposé par le texte. Alors, comme je suis issue d’une famille travaillant dans le théâtre (ma mère était première danseuse chez Roland Petit, et mon père directeur technique de grands CDN tels que La Comédie Française, le Châtelet, le Théâtre de la Cité à Toulouse, le Quartz de Brest, La Criée à Marseille, etc) et que j’ai toujours aimé fabriquer des petites maquettes de scénographie depuis que je suis jeune, j’ai décidé de fabriquer un objet visuel, me mettant en scène dans un personnage et organisant le décor, les costumes, le maquillage dans les moindres détails.
J’essayais de mettre en scène quelqu’un d’autre.
J’ai toujours pour credo que le comique est un genre excessivement pointu et que, pour faire rire un spectateur, il faut être sérieux.
Je n’avais jamais fait ça, j’ai fait ce qui me ressemblait, avec mon exigence, ma sensibilité et subjectivité.
Nous n’attendions rien de ces deux passages sur France Musique, et pourtant, suite à nos publications sur les réseaux sociaux, cela remporta un vif succès et beaucoup de personnes nous demandaient d’en faire d’autres.
J’ai également reçu des partitions de plusieurs compositeurs, notamment italiens, qui voulaient que je déchiffre leur musique et que je l’enregistre. »
C’est donc Jeanne Crousaud qui est à l’initiative de l’adaptation sous forme scénique du cycle de mélodies :
« Particulièrement friande des textes de Roland Dubillard ou Daniil Harms, rois du théâtre de l’absurde ou satirique, l’idée d’un spectacle me taraudait depuis un moment : une sorte de cabinet de curiosités dans lequel le public serait invité à rêver.
À partir du moment où ce premier volume des Proesie a été édité aux éditions Ricordi, nous avons mis cela en route et j’ai demandé, d’un commun accord avec Francesco, à Emily Wilson accompagnée d’Oria Puppo avec qui j’avais travaillé sur La Princesse Légère à l’Opéra Comique, de rejoindre notre binôme.
Mathieu Rietzler, directeur de l’Opéra de Rennes a accepté de nous accueillir pour une résidence de recherche et de travail.
Gonzalo Bustos, à qui j’ai parlé de ce projet lors d’Éloge de la Plante à Cassis, l’a également pris sous son aile. Ainsi l’ensemble Sillages nous accompagnera dans ce travail, puisque nous travaillons avec Hélène Colombotti, percussionniste de l’ensemble.
La question du seul en scène a longtemps été discutée et j’aimais bien l’idée d’être accompagnée. Le format vidéo fonctionne très bien avec le focus sur une personne, mais au théâtre cela est plus difficile, d’autant que la musique de Francesco est une musique de détails incluant ici beaucoup d’accessoires, de sons, de gestes et de mimiques.
Nous avons donc décidé de partir sur deux idées avec Emily et Oria :
1) un espace assez resserré, avec des étagères ou vitrines, dans lesquelles se trouveraient tous les objets utilisés, et Hélène et moi seraient les guides a qui il arriverait des histoires au fil de la déambulation.2) le jeu d’un personnage-orchestre, avec un costume étrange ou magique (Oria Puppo est une costumière de génie !), dans lequel tous les accessoires ou instruments (ou une grande partie) seront cachés.
La percussionniste aura un vêtement analogue. »
Les Proesie, un travail à suivre !