Questions à une compositrice : Justé Janulyté

site web : www.justejanulyte.com

À l’occasion du concert QUATUOR.S programmé par le Quartz, scène nationale de Brest le 26 octobre 2022 à 20h30 à l’Auditorium du Conservatoire à Rayonnement Régional de Brest Métropole, l’ensemble Sillages interprétera la pièce Aria pour quatuor à cordes de la compositrice lituanienne Justé Janulyté.

Elle s’est prêtée au jeu d’un court entretien, nous l’en remercions :

Bonjour chère Justé,

Vos compositions travaillent souvent des espaces où le son et l’image se rencontrent : que voyez-vous lorsque vous composez de la musique ?

Des auditeur.ice.s, se faisant écho d’un côté à l’autre, tournant ou se déplaçant progressivement de gauche à droite ou en arrière, de haut en bas, se superposant pour former des réseaux denses, palpitants comme des vagues… Ma perception sonore est très liée au mouvement, elle est donc plus cinétique que visuelle.

Si vous deviez faire une analogie entre la composition musicale et un art plastique, lequel serait-il et pourquoi ?

Probablement ce serait une sorte d’installation lumineuse ou de l’art vidéo – car ces formes travaillent avec des images en mouvement et dans le temps comme la musique.

Quels types de paysages peuvent vous inspirer une composition et pourquoi ?

Des eaux, les vagues, les montagnes, des forêts denses, des horizons lointains… Toutefois je reçois une inspiration plus directe de phénomènes naturels variés qui passent par des transformations, des évolutions, des métamorphoses – des organismes vivants qui grandissent, s’épanouissent et meurent, tout comme mes compositions qui s’appuient sur ces processus.

Comment en êtes-vous arrivée à composer de la « musique monochrome » pour la première fois ?

Au tout début, il y a une vingtaine d’années, alors que j’étais encore étudiante, j’ai eu plusieurs fois l’occasion d’écrire de la musique pour des formations instrumentales « monochromes », composées seulement d’instruments à cordes, à vent, ou seulement de voix, etc. Très rapidement j’ai senti que c’était mon « habitat naturel ».

Cela m’a permis de développer progressivement une technique particulière de composition micro-polyphonique qui traite l’ensemble/l’orchestre/le chœur comme un seul corps où des instruments ou des voix différent.e.s se fondent ensemble autant que possible. Leurs timbres se mélangent tant que ces voix et ces instruments commencent à sonner de façon très similaire, comme s’ils/elles étaient la résonance les un.e.s des autres. Couper toutes les attaques des sons et n’utiliser que les ondes sonores les plus pures fait généralement l’affaire.

Aria pour quatuor à cordes est construit tel un labyrinthe : vous arrive-t-il de vous perdre lorsque vous composez de la musique, et si oui, comment retrouvez-vous votre chemin ?

Je pense que se perdre fait partie, et que c’est même le but du processus créatif. Cela permet de repousser à chaque fois ses limites et d’explorer autant de possibilités et de potentialités d’un certain concept ou matériau que possible…

Ensuite, je l’espère, l’intuition musicale de chacun.e et un filtrage très personnel des informations générées ou trouvées nous mène vers la sortie la plus convaincante, qui contient le résultat le plus pertinent pour le projet que chacun.e se donne.

Vous composez de la musique pour le cinéma : comment le film influence-t-il votre propre processus ?

À vrai dire, je n’ai pas encore composé de musique de films à proprement parler, par manque de temps – seulement des extraits variés de mes pièces écrites plus tôt ont été utilisés dans des films différents, ce que je considère une pratique réussie.

Cela aide à éviter une illustration superficielle lorsque l’on cherche à suivre et à contenter la situation cinématographique. Au moment de choisir parmi des musiques déjà écrites, l’on obtient une polyphonie très intéressante des images et de la musique qui étaient à l’origine des outils indépendants : la musique apporte une certaine atmosphère au film mais reçoit également une nouvelle connotation qui n’était pas voulue au moment de la composition.

À quel moment de votre processus de composition vous concentrez-vous sur le travail sur l’électronique, lorsque vous l’utilisez ?

Comme ma musique acoustique est déjà très « électronique » dans la manière dont elle est composée, – une sorte d’acoustic electronica avec beaucoup de résonances, de delays, de loops, d’effets de spatialisation sonore, etc.-, et bien si je travaille avec l’électronique, j’imagine qu’elle fait partie intégrante de ma partition, en suivant la même logique. Simplement l’électronique étends considérablement les possibilités à portée de main.

Sur quelle prochaine vision aimeriez-vous travailler ?

La vision sur laquelle je me concentre en ce moment concerne la pièce que je compose – une composition pour seize voix et électronique, dédiée au centième anniversaire de György Ligeti et liée à son chef-d’œuvre Lux aeterna pour choeur, qui sera créée l’année prochaine en juin au festival Manifeste à la Philharmonie de Paris par l’ensemble vocal de la radio allemande SWR et par l’Ircam (Robin Meier).

Je suis donc immergée dans les métaphores musicales de la lumière ces jours-ci.

Merci beaucoup pour le temps que vous nous avez accordé. Nous avons hâte de jouer votre pièce et de découvrir cette nouvelle œuvre !

Biographie

Les œuvres de Justė Janulytė (née à Vilnius), principalement écrites pour des ensembles denses et monochromatiques (uniquement des cordes, uniquement des vents ou uniquement des voix), explorent la perception musicale de l’espace-temps à travers d’immenses textures à plusieurs couches avec des évolutions extrêmement progressives. Tout en équilibrant l’esthétique du minimalisme, du spectralisme et de la musique de drone, Justė Janulytė compose des métaphores acoustiques d’idées visuelles (Here at the quiet limit pour chœur d’hommes et orchestre à cordes, The Colour of Water pour saxophone(s) solo et orchestre, Was there a Swan? pour orchestre symphonique) et explore la nature visuelle des phénomènes musicaux dans des œuvres où le son et l’image se confondent (Breathing Music pour quatuor à cordes, sculptures électroniques et cinétiques, Sandglasses pour 4 violoncelles, électronique et scénographie vidéo). 

En 2009, Janulyte remporte la Tribune Internationale des Compositeurs à Paris (dans la catégorie des compositeurs de moins de 30 ans). En 2011, la compositrice reçoit le Prix du jeune artiste du ministère lituanien de la Culture et, en 2017, le Prix national des arts et de la culture de Lituanie, la plus haute distinction artistique de Lituanie. En 2019, elle remporte le concours « Musica femina München ». 

En 2020, Justė Janulytė fait ses débuts au cinéma en collaboration avec le réalisateur letton Viesturs Kairišs pour le long métrage City on the River

Elle enseigne également la composition à l’Académie lituanienne de musique et de théâtre, ainsi que de nombreuses masterclasses, dont Madona en Lettonie en 2018, SYNTHETIS à Radziejowice en Pologne avec Chaya Czernowin, Toshio Hosokawa et Zygmunt Krauze en 2019, puis avec Mark Andre, Ivan Fedele et Zygmunt Krauze en 2020, et l’International Young Composers Academy à Lugano en Suisse avec Oscar Bianchi et Mauro Lanza en 2021. 

pour aller plus loin :

émission consacrée à Justé Janulyté dans « le Cri du Patchwork » de Clément Lebrun sur France Musique (6 février 2018) :

https://www.radiofrance.fr/francemusique/podcasts/le-cri-du-patchwork/immersion-1-juste-janulyte-musique-monochrome-6254408